Par Lucie Raty, Urbanomy
27/02/2024

Le directeur de l'innovation du groupe EDF Julien Villeret et la directrice générale déléguée d'Urbanomy Lucie Raty étaient récemment les invités du podcast "Monde numérique", pour une émission spéciale "Objectif 2050" en partenariat avec EDF.

L'occasion pour Lucie de présenter notre cabinet de conseil et les accompagnements que nous proposons pour les entreprises.

Notre façon de travailler et nos outils, notre méthode pour co-construire des futurs positifs pour et avec nos clients ou encore les enjeux actuels autour de la décarbonation et ses derniers concepts en vogue.

Retrouvez ci-dessous, par écrit, le contenu intégral de cet entretien à trois voix. Ou écoutez-le sur la page dédiée du podcast "Monde Numérique", créé et animé par le journaliste spécialiste de la tech et producteur Jérôme Colombain (France Info, Tech & Co).
 

Visuel du podcast de "Monde numérique" / Objectif 2050 avec Julien Villeret et Lucie Raty

Copyright : "Monde Numérique" / Jérôme Colombain

Jérôme Colombain : Bonjour Julien Villeret, directeur de l’innovation d’EDF. Je suis ravi de vous accueillir pour cette nouvelle saison d’ "Objectif 2050". Alors pour EDF, qu’est-ce que ça représente, d’ailleurs, cet horizon 2050 ?   
 

Julien Villeret : 2050, c’est une date qui a été popularisée par la COP21, en 2015, on se souvient, la "COP de Paris", comme on l’appelle. C’est un engagement qu’a pris la planète, c’est un engagement qu’a pris la France et c’est un engagement que prend EDF également d’atteindre une cible qu’on dit "Net Zero", c’est-à-dire zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050.   

C’est évidemment un enjeu extrêmement important écologiquement et une entreprise d’énergie comme EDF est directement concernée puisque dans le monde entier – on a la chance en France d’avoir une énergie très vertueuse d’un point de vue CO2 mais dans le monde entier les émissions de carbone sont largement dominées par les émissions énergétiques.   

Et donc on est très impliqués dans cette idée de développer une énergie décarbonée, de décarboner les usages, utiliser l’innovation, la technologie, les services innovants autour de l’électricité pour décarboner le monde d’ici à 2050.  

L'innovation et les startups pour contribuer à décarboner le monde

Jérôme Colombain : Sur quels types d’innovations vous appuyez-vous ?   
 

Julien Villeret : Il y a d’abord l’innovation technologique, on a plus de 2 000 chercheurs dans notre R&D dans le monde entier. On est très à la pointe sur tout un tas de domaines, liés à l’énergie mais pas uniquement : on pourrait parler de l’IA générative et de plein d’autres sujets.   

On a aussi des équipes d’innovation que j’ai le plaisir de diriger qui, elles, développent vraiment de nouveaux modèles, de nouveaux dispositifs, de nouvelles startups qui permettent, là aussi, d’aider à décarboner le monde en l’électrifiant. Et puis on fait évidemment beaucoup de prospective, beaucoup de veille sur les ruptures, des choses qui vont pouvoir changer le monde. Et ce sont évidemment des choses que l’on a besoin de suivre au quotidien.   

Si je prends l’exemple de la voiture électrique : la voiture électrique, c’est décarboner la voiture en l’électrifiant, en passant du moteur thermique au moteur électrique mais elle a emporté avec elle tout un tas d’innovations qui vont bien au-delà : la conduite autonome, l’entertainment dans la voiture, on en a vu au CES (le Consumer Electronics Show, grand salon annuel consacré à l’innovation technologique à Las Vegas, ndlr) pas mal d’exemples. Bref, ce sont des choses qui sont évidemment suivies de très près par nos équipes.
 

Jérôme Colombain : quelques exemples d’actions que vous avez menées, soit directement, soit par l’intermédiaire de startups ?
 

Julien Villeret : Alors on fait énormément de choses. Un exemple d’une action qu’on a créée, c’est tout ce qui est calcul haute performance, les fameux datacenters dont on parle souvent, la blockchain, tous ces outils-là, sont des outils qui sont réputés pour être très énergivores. Et quand on entend "énergivore", on entend "polluant" et on entend "émissions de CO2".

Nous on a inventé un modèle à travers une startup qu’on a créée qui s’appelle Exaion, qui est un modèle de blockchain, de calcul haute performance, de datacenters vertueux. C’est-à-dire alimenté avec une électricité sans CO2 ou bas carbone et situé dans des zones géographiques où on maîtrise les données - suivez mon regard, on sait que c’est quelque chose d’important, la souveraineté des données – et donc typiquement, ce sont des modèles que nous avons développés.

On ne s’attend pas à voir EDF là-dessus. Il se trouve qu’on l’utilise évidemment pour nos propres besoins parce qu’on est une entreprise qui utilise énormément le numérique mais on vend cette solution à beaucoup d’autres entreprises ; par exemple Société Générale, à travers sa filiale SG Forge, suit des transactions financières grâce à notre plateforme Exaion. Donc c’est vraiment ce genre d’innovations très concrètes qu’on met en œuvre à travers nos investissements.

Il faut dire aussi qu’on investit nous, directement, énormément dans des startups externes, des projets qui ne sont pas directement menés par EDF mais des projets qu’on a identifiés comme étant des projets qui peuvent faire bouger le monde et bouger les choses autour du CO2. Donc on a vraiment une activité mixte : on crée nos propres projets et puis on investit dans les projets des autres, ceux qui nous paraissent vraiment pertinents. On a quand même investi 500 millions d’euros, à l’heure actuelle, dans ces différentes startups donc ce n’est pas rien, ce sont vraiment des choses concrètes.

Transformer une vision en un plan d'action

Jérôme Colombain : Alors justement on va s’intéresser à l’une de ces startups qui est accompagnée par EDF. 

On va parler de décarbonation avec Lucie Raty, bonjour ! Vous êtes directrice générale déléguée d’Urbanomy, qui est donc un cabinet de conseil en stratégie énergie et climat. Et vous, vous accompagnez les entreprises pour les aider à se décarboner. Ça consiste en quoi, exactement ?


Lucie Raty : La décarbonation, c’est la réduction de l’empreinte d’une activité en matière d’émissions de gaz à effet de serre, très simplement. Aujourd’hui, à l’origine d’une feuille de route de décarbonation, qui est l’un de nos principaux accompagnements, il y a des enjeux qui sont assez similaires pour nos clients publics comme privés. 

Premièrement, un contexte de transition écologique que l’on connaît tous. Deuxièmement, des contraintes réglementaires qui commencent à se décliner de manière sectorielle. Troisièmement, le besoin de construire une vision à moyen ou long terme ; on entend de plus en plus parler de trajectoire 2030, 2040 ou 2050. 

Une fois qu’on a dit cela, il faut identifier les budgets associés pour que cette vision soit transformée en un plan d’action très concret. Et c’est là qu’on intervient. Concrètement, les besoins auxquels nous répondons ont souvent un lien avec l’énergie, mais pas seulement : on voit de plus en plus que les organisations ont conscience de l’impact de leur activité sur le vivant, sur la biodiversité, sur le climat et donc c’est cela qu’on attend de nous en matière de quantification de ces impacts et d’accompagnement pour les réduire.


Jérôme Colombain : Donc si on comprend bien, il y a d’abord une partie audit et ensuite il y a une partie stratégie et action, c’est bien ça ?


Lucie Raty : C’est exactement ça. On travaille par étapes, c’est-à-dire que la première étape c’est d’établir la photo. Le plus souvent aujourd’hui, la photo ça va être un bilan carbone qui va comptabiliser les émissions de gaz à effet de serre d’une activité : ses émissions directes et ses émissions indirectes. Sachant qu’aujourd’hui, les émissions indirectes, c’est toujours au moins 60% de l’empreinte d’une activité. Et pour certaines activités, comme l’événementiel par exemple, c’est beaucoup plus : plus de 90% uniquement pour le transport des visiteurs qui viennent sur un salon.

C’est donc compliqué pour certaines entreprises parce que leur empreinte, parfois, est majoritairement liée à des choses qui ne relèvent pas de l’activité en tant que tel. Donc ils n’ont pas de leviers sur la fabrication de l’événement - ou en tout cas très peu, ou ça n'aura pas tellement d’impact – et donc comment agir sur les zones que je ne maîtrise pas ? En cherchant tout de même à avoir cette responsabilité en tant qu’acteur de réduire mon empreinte, au global, au niveau de mon écosystème.

L'enjeu crucial de la collecte des données

Jérôme Colombain : Alors est-ce qu’on arrive véritablement à collecter des données réelles, de manière fiable ?


Lucie Raty : Des données réelles, oui. Mais la collecte de données, c’est souvent le point le plus crucial au moment de cette étape du bilan, justement, avec énormément de données à collecter. Il faut aussi choisir la bonne année de référence : on l’a vu avec l’année 2020, pendant le Covid. L’année 2020 n’est pas une année de référence très représentative pour de nombreuses entités. Donc cette partie de collecte, elle est évidemment cruciale et on travaille beaucoup à la fiabiliser et à créer une gouvernance de la donnée dans le temps pour permettre, année après année, de continuer à collecter et à réduire les zones d’incertitudes.

Mais ça c’est vraiment pour l’étape 1. Une fois qu’on a fait la photo, il faut vraiment poser le cadre également. C’est-à-dire : je connais mon empreinte, je sais que je veux réduire mais quel est le cadre réglementaire dans lequel j’évolue ? Est-ce qu’il y a des contraintes sur mon secteur ? Est-ce qu’il y a de nouvelles contraintes qui vont arriver également ? On entend de plus en plus parler de la CSRD, une nouvelle directive européenne qui oblige les entreprises à un reporting extra-financier avec de nombreux volets sur le climat. Et en fonction de la taille des entreprises, certaines vont être concernées très rapidement. C’est la même chose pour le bilan carbone, qui est obligatoire pour les entreprises de plus de 250 salariés dès 2025.

Et donc à partir de ces contraintes, ce que nous voulons c’est vraiment de permettre à l’ensemble du comité de direction de définir un niveau d’ambition au regard, à la fois, de ce qui se fait dans le secteur - que fait la concurrence ? quel est l’état de l’art ? - et de là où se situe l’organisation à partir de l’état des lieux qu’on a fait en étape 1. Et ça nous permet ensuite de passer à la phase 3 : le plan d’action, la feuille de route.


Jérôme Colombain : Et alors là comment faites-vous ? Comment est-ce que vous décidez ce qu’il faut faire ?


Lucie Raty : Quand on arrive à cette feuille de route, on va travailler par scénarios et c’est là que c’est vraiment intéressant. En fait c’est d’imaginer les futurs possibles.

Ce travail par scénarios, on a tendance à en choisir au moins trois pour justement pouvoir tirer des traits assez poussés. Le premier, souvent, c’est le business as usual donc c’est : "si je continue mon activité telle que c’est prévu dans mon plan moyen terme, voilà où j’arrive et donc j’identifie les leviers sur lesquels je vais agir pour réduire mon empreinte".

Mais si je veux pousser le curseur un peu plus loin, par exemple si je mets un niveau d’ambition maximal ? Si je prends l’exemple d’un acteur de fabricant d’équipements qui va utiliser des métaux et qui voudrait réduire son empreinte, il pourrait décider d’être uniquement sur des matériaux recyclés. Combien de temps ça va me prendre si je veux que 100% de mes matériaux soient recyclés ? Est-ce que ma filière d’approvisionnement me permet de sécuriser le volume dont j’ai besoin ? Tous ces impacts, je vais en tenir compte pour dessiner une trajectoire d’ambition maximale. Et je peux avoir la trajectoire minimum qui sera une trajectoire conformité réglementaire : je veux juste être en conformité avec la loi, je ne veux pas être pionnier sur mon secteur ou le n°1 des équipements recyclés, justement, et donc voilà la trajectoire qu’on va dessiner.

À partir de ces trajectoires, le but c’est d’en choisir une qui correspond à la culture d’entreprise. Une question qu’on aime bien poser est : "vous aimez être les plus gros ou vous aimez être les premiers ?". En fonction de la réponse, ça nous donne un indicateur : est-ce que l’entreprise est plutôt une entreprise d’innovation, qui aime tester des choses, qui aime être la première sur un sujet ? Ou est-ce que c’est plutôt une entreprise de pénétration qui veut avoir le plus gros volume sur quelque chose ? Et ça permet de choisir des trajectoires qui collent vraiment à la culture d’entreprise, pour leur donner toutes les chances d’être mises en œuvre.

Quelle résilience des modèles d'affaires ?

Jérôme Colombain : Est-ce qu’il y a des trajectoires purement de façade ? Purement greenwashing ?


Lucie Raty : Est-ce qu’il y en a ? J’aurais tendance à dire que sur un exercice de trajectoire, c’est surtout ce qu’on en fait. Donc une trajectoire n’a de sens que si on voit comment elle est appliquée. Et aujourd’hui, c’est le principal risque. On voit de plus en plus d’entreprises qui communiquent avec des termes qu’on voit apparaître : les "émissions évitées", le "scope 4", les entreprises "régénératives". Il y a un vrai piège potentiel à tomber dans ce risque sémantique qui est d’autant plus risqué que le 11 mai 2023, le Parlement européen a voté une loi contre le greenwashing et typiquement, une entreprise ne peut plus dire qu’elle a un "impact positif sur le climat" uniquement parce qu’elle a compensé les émissions de son activité, par exemple.

Donc l’intérêt pour les clients, c’est vraiment de passer à l’action. Ces trajectoires, elles sont là pour ça. S’il n’y a pas de passage à l’action, en effet ça n’a pas de sens. Et aujourd’hui, il faut vraiment réaliser qu’ils sont confrontés à de nombreuses inconnues qui peuvent remettre en cause le modèle d’affaires de leur entreprise.

Je parlais des fabricants de matériel : si on est face à un équipementier qui utilise des métaux rares, est-ce que ces métaux rares existeront toujours et seront toujours disponibles dans dix ans ? À quel prix ? À quel volume ? Comment j’anticipe que la filière dont j’ai besoin, que ma filière achats, ma filière d’approvisionnement est en capacité de me fournir ? Ou sinon, comment j’anticipe dès aujourd’hui mon changement de modèle d’affaires ? Nous, on accompagne vraiment ces réflexions stratégiques pour mesurer le niveau de résilience d’une entreprise - ces trajectoires, elles sont là pour ça – et ce sujet de la résilience, il est vraiment pris au sérieux aujourd’hui.

Il y a encore quelques années, quand on faisait des exercices de prospective avec des risques d’épidémie ou de guerre, ça pouvait sembler un peu hypothétique et lointain. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout le cas. Aujourd’hui, quand on parle de la résilience d’une chaîne d’approvisionnement, c’est très concret et c’est ça qui fait que les entreprises veulent passer à l’action. Pour éviter de subir. Et donc aujourd’hui, on est là pour ça, pour les accompagner, pour passer à la co-construction de futurs positifs et les faire accoucher de ces stratégies qu’elles vont mettre en œuvre pour pérenniser leur modèle d’affaires.


Jérôme Colombain : Quelles sont les technologies que vous utilisez pour cela ?


Lucie Raty : On travaille beaucoup en étroite collaboration avec la R&D d’EDF sur des modèles de simulation qu’on co-développe avec eux. On a aussi de nombreux partenariats stratégiques ou technologiques.

Sur la partie liée à l’intelligence artificielle, c’est quelque chose qu’on explore mais parfois, le mieux est l’ennemi du bien. Ou le remède est parfois pire que le mal, disons. Comme le disait Julien Villeret juste avant, l’IA c’est aussi un impact numérique très fort donc il faut aussi trouver les bons applicatifs pour se servir de l’IA ! Parce que si, finalement, l’empreinte numérique de l’utilisation du service est plus importante que le gain que c’est censé apporter sur la réduction, eh bien il faut se poser la question. Donc on est là aussi pour poser le curseur au bon endroit entre le low tech, en quelque sorte et puis l’utilisation d’outils numériques, si possible dans une dimension raisonnée.

Cela passe parfois par le renoncement, aussi. Qu’est-ce que l’entreprise est prête à ne pas faire ou à ne plus faire ? Et ça c’est une vraie question qu’on aime poser aussi, justement, pour voir quelle capacité a le modèle d’affaires à se transformer et à intégrer de nouvelles contraintes qui fait que dans dix ans, peut-être, ce métier-là, ce produit-là n’existera plus parce qu’il aura fait face à des limites qui lui sont exogènes. Et nous on doit aussi réfléchir à tout ça.

Donc oui, la technologie peut être une solution. Il faut choisir les bonnes technologies et puis renoncer à d’autres.


Jérôme Colombain : Merci beaucoup Lucie Raty, directrice générale déléguée d’Urbanomy.

C’était "Objectif 2050", en partenariat avec EDF. Retrouvez tous les épisodes de cette série sur toutes les plateformes de podcast et sur le site de "Monde numérique".

L'autrice

Lucie Raty

Lucie est la co-fondatrice et Directrice Générale Déléguée d’Urbanomy.
Au sein de Veolia, de Dalkia puis de la Direction Internationale d’EDF, elle a mené de nombreuses missions en matière de Responsabilité Sociétale des Entreprises, de conduite du changement et de développement de nouvelles offres.
Lucie aime concilier les choses qui ne vont pas de soi afin d’accompagner la transformation des entreprises et des organisations du secteur public.

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