Par Félix Briaud
24/03/2025
24/03/2025
Le 30 janvier 2025, Urbanomy et Oklima organisaient la première édition des Climate Talks, le rendez-vous des scientifiques et des entreprises pour lutter contre le dérèglement climatique et protéger la biodiversité.
La deuxième table ronde, intitulée "Décarboner pour durer : construire des stratégies résilientes", portait sur le thème de l’adaptation au changement climatique.
Comment expliquer que ce sujet de l’adaptation climatique prenne, depuis quelque temps, autant d’importance ? Et comment concilier compétitivité et adaptation ?

Il faut aussi avoir en tête que la plupart des entreprises de notre panel d’intervenants ont une empreinte internationale. Et donc qu’elles sont dans un jeu d’acteurs et un jeu de contraintes qui est différent quand on est en France, en Europe ou dans le reste du monde.Comment donc faire en sorte que pour une entreprise, s’emparer de la lutte contre le changement climatique ne soit pas l’annonce de son pré mortem, dans ce monde ouvert et concurrentiel ?![]()

Transcription
Emmanuel Normant, directeur du Développement durable de Saint-Gobain, prend la parole lors de la deuxième table ronde des Climate Talks d'Urbanomy et Oklima, intitulée "Décarboner pour durer : construire des stratégies résilientes". Paris, le 30 janvier 2025.
Emmanuel Normant, directeur du Développement durable de Saint-Gobain, prend la parole lors de la deuxième table ronde des Climate Talks d'Urbanomy et Oklima, intitulée "Décarboner pour durer : construire des stratégies résilientes". Paris, le 30 janvier 2025.
Urbanomy vous propose ci-dessous des morceaux choisis de cette deuxième table ronde, dédiés à cette question de l’adaptation au changement climatique et comment nous pouvons faire en sorte que ce sujet devienne aussi mûr au sein des entreprises que celui de la réduction de l’empreinte carbone.

Il y a une trentaine d’années, l’adaptation était perçue comme l’enjeu des pays les plus vulnérables, avec un faux sentiment d’invulnérabilité dans les pays les plus riches. Et puis l’atténuation était perçue comme le sujet des pays riches et pas forcément celui des pays où il y a un manque d’accès aux services de base.Mais aujourd’hui on fait face au doublé défi de parler de décarbonation dans les pays du sud avec des enjeux compliqués de droit au développement ; et de parler de vulnérabilités dans les pays les plus riches, dans les villes les plus riches, auprès des personnes les plus riches aussi. Ça dit des choses sur notre société.Et la deuxième chose c’est qu’il n’y a pas de one size fits all (pas de taille unique, ndlr). C’est-à-dire qu’il faut l’ancrer dans un contexte régional. Les expositions, les vulnérabilités, les aléas climatiques ne sont pas les mêmes - et il faut les ancrer dans les leviers d’action propres à un secteur donné, à une échelle plus territorialisée, plus sectorielle.![]()
Tout comme pour la question de la décarbonation, une stratégie de décarbonation doit en effet être pensée sur mesure.
Car les événements climatiques, le contexte et la réponse ne sont jamais les mêmes. C’est le sens du témoignage de la directrice de l’Environnement du groupe Vinci, Isabelle Spiegel.

En 2018, on a eu un typhon sur un de nos aéroports au Japon. Un typhon, tout s’arrête pendant quelques jours. Et sur la course de retour à la normale, on s’est aperçu que toutes nos installations électriques étaient en sous-sol. Elles se sont retrouvées inondées plusieurs semaines. On aurait pu reprendre l’activité trois jours après mais on l’a reprise trois semaines après et on s’est dit que dans la conception même de l’installation, il y avait sans doute des choses à changer.Deuxième élément marquant : sur l’autoroute A9, à Nice, en septembre 2021, une inondation. On a dû hélitreuiller des usagers. Donc sortir par hélicoptère des gens de leurs voitures parce que sinon ils allaient être noyés.Et donc on se dit : il y a des choses qu’on avait pu voir venir. Mais notre service contractuel vis-à-vis de l’État, c’est de maintenir le service public et de pouvoir circuler sur autoroute le plus longtemps possible. Et donc on a laissé l’autoroute ouverte et on s’est retrouvé en situation d’urgence à devoir sauver des vies.Donc ça amène à réfléchir et à se dire que peut-être, demain, il faudra qu’on coupe l’autoroute un peu avant, qu’on évite que les voitures se trouvent en situation critique. Mais ça veut dire dégrader un service, ce qui n’est pas notre objet contractuel premier. Ça fait partie de la réflexion collective et territoriale qu’il faut avoir.![]()
Une démarche d’adaptation ne doit cependant pas être uniquement vue sous l’angle de la contrainte.
Selon Emmanuel Normant, directeur du Développement durable de Saint-Gobain, la question de l’adaptation au changement climatique est aussi une opportunité : celle de repenser son activité et sa dépendance à certains facteurs environnementaux.

On utilise beaucoup d’eau chez Saint-Gobain pour refroidir des équipements. Si, brutalement, il n’y a plus d’eau, on ne sait pas refroidir un équipement, on est obligé de l’arrêter ou on a un vrai risque. Donc on a engagé des réflexions du type "usine zéro carbone" pour savoir ce que c’est qu’une usine "zéro eau". Qu’est-ce que ça veut dire ? Pour pousser le curseur plus loin et obliger à se repenser par rapport à ce que l’on fait.Et puis, c’est un peu malheureux de le dire comme ça mais l’adaptation au changement climatique, c’est aussi une magnifique opportunité, comme la décarbonation est une magnifique opportunité et je le dis volontairement comme ça : en matière d’offre, donc en matière de nouvelles solutions - qu’est-ce que c’est que repenser le bâtiment face à des vagues de chaleur, par exemple ? Qu’est-ce que l’intégrer dans la réglementation pour le neuf mais surtout transformer le stock existant ?![]()
Le fait que l’ambition d’une entreprise pour une démarche d’adaptation soit là est déjà un premier pas important, pour ne pas dire essentiel.
Cependant, le passage de l’ambition à l’action n’est pas toujours aisé.
David Meneses, vice-président People & Sustainability d’OPmobility (ex-Plastic Omnium), regrette par exemple qu’il n’y ait pas davantage d’incitation pour ce genre de démarche, notamment de la part des compagnies d’assurance.

En matière d’adaptation physique, la grosse difficulté, c’est qu’on est dans le temps long. Et on est dans le temps long pour un acteur économique qui doit produire des résultats, répondre à des appels d’offres de clients et qui doit par conséquent toujours mettre en équilibre l’aspect "action pour l’environnement" et "compétitivité économique".Quand je mets des équipements de protection dans mes usines, que ce soit pour les incendies ou autre, je vais voir mon assureur et mon assureur me fait une remise parce qu’il me dit : "tu t’es bien équipé, donc tu vas payer moins d’assurance, parce qu’il y a moins de chances que j’aie besoin de te rembourser tous tes équipements de production".Il n’y a pas la même chose sur le CO2. Quand j’investis pour réduire l’empreinte carbone, je n’ai pas quelqu’un qui vient me donner un crédit. Et donc la seule motivation, c’est avant tout le fait qu’on a envie d’être un acteur durable et qu’on veut aller dans cette direction-là, et qu’on doit construire un modèle d’affaires résilient. Mais en tout cas on irait plus vite si ce type de schéma était mis en œuvre.![]()
Il y a donc la question d’une rétribution suffisante d’une démarche d’adaptation, voire de décarbonation, mais il y a aussi celle - au moins aussi importante - de la conduite du changement en interne, auprès des différentes équipes concernées.
En la matière, le retour d’expérience de Fnac Darty est éloquent, comme le raconte son responsable RSE Jules Chaillé.

Quand on touche au salaire des gens et qu’on touche à l’argent, on voit qu’il y a une implication. Nos top managers ainsi que le PDG ont une part significative de leur variable qui est directement liée à notre objectif de décarbonation. Avant, personne n’était très intéressé. Mais maintenant que ça touche au salaire des gens, ils nous demandent "alors, on avance bien ? Ça fonctionne bien ?".Il y a une dimension de réussir à embarquer. Le premier sujet, c’est de faire de la sensibilisation et de la formation, mais souvent quand on touche à la rémunération, il y a aussi cet aspect-là de pouvoir embarquer notre top management, même les plus difficiles.Car une entreprise, c’est représentatif de la société. On voit qu’il y a une hausse des personnes qui sont climatosceptiques en France ; il ne faut donc pas oublier qu’on peut retrouver ces personnes dans l’entreprise.![]()
Avoir conscience qu’une entreprise est composée d’individus qui ont leurs convictions est important, de même qu’il est essentiel de penser à ses utilisateurs finaux et donc au grand public.
N’y a-t-il pas, parfois, un risque à demander aux personnes de s’adapter trop vite, trop brutalement ?
Comment ne pas comprendre, par exemple, qu’un ouvrier dans une usine, malgré toutes les injonctions sociétales, n’achète pas de véhicule électrique ? Le paramètre financier est central : l’achat d’une voiture à 30 000 euros représente pour lui environ 18 mois de travail, alors que l’acquisition d’un véhicule thermique pouvait n’en représenter que 6 !
C’est une raison majeure des difficultés auxquelles nous faisons collectivement face pour la conversion du parc automobile national.

C’est la vraie différence entre vouloir et pouvoir et ça pose la question de la "sur-adaptation".C’est-à-dire qu’on va demander de la "sur-adaptation" aux équipements, ou prendre en compte leurs seuils de vulnérabilité, mais il y a aussi un seuil de vulnérabilité des personnes. Et à un moment, si on leur demande de trop s’adapter, que ce soit dans les changements d’habitudes ou dans les contraintes économiques pour s’assurer ou pour s’équiper, il y aura un rejet très fort. Il faut être très vigilant à cela.![]()
Comprendre les risques, s’appuyer sur les expériences passées de l’entreprise, transformer une contrainte en opportunité, penser au retour sur investissement de la démarche ou encore réussir à convaincre en interne et en externe du bien-fondé de sa démarche : voilà donc quelques-uns des aspects essentiels d’une stratégie d’adaptation au changement climatique ou d’une stratégie de décarbonation.
Si ce sont des questions que votre entreprise se pose en ce moment, les consultants et experts d’Urbanomy sont à votre disposition ! Prenez rendez-vous dès aujourd’hui pour en discuter.

Transcription
Les équipes d'Urbanomy et d'Oklima avec Valérie Masson-Delmotte (à gauche), lors de la première édition des Climate Talks, le 30 janvier 2025 à Paris.
Les équipes d'Urbanomy et d'Oklima avec Valérie Masson-Delmotte (à gauche), lors de la première édition des Climate Talks, le 30 janvier 2025 à Paris.

L'auteur
Félix Briaud
Félix est le responsable communication & RSE d’Urbanomy.
Journaliste durant dix ans, il a ensuite bifurqué vers la data appliquée à la publicité digitale. Ce n’est que récemment qu’il s’est convaincu, en rejoignant le cabinet, de mettre en adéquation sa vie professionnelle avec ses convictions personnelles au sujet de l'environnement.
En dehors de cela, Félix est fou de musique - particulièrement de la période allant des années 1950 aux années 1970. Dans ce domaine comme dans d’autres, il regorge d'anecdotes et sera sans aucun doute ravi de vous en raconter une ou deux.
Journaliste durant dix ans, il a ensuite bifurqué vers la data appliquée à la publicité digitale. Ce n’est que récemment qu’il s’est convaincu, en rejoignant le cabinet, de mettre en adéquation sa vie professionnelle avec ses convictions personnelles au sujet de l'environnement.
En dehors de cela, Félix est fou de musique - particulièrement de la période allant des années 1950 aux années 1970. Dans ce domaine comme dans d’autres, il regorge d'anecdotes et sera sans aucun doute ravi de vous en raconter une ou deux.